La Thébaïde, le rêve d'un prêtre bâtisseur ...

LA THEBAÏDE

Le rêve d'un prêtre bâtisseur


                        Au bord de la route, le portail en bois est des plus simples. Sur le pilier le nom de La Thébaïde est à moitié effacé. Le large chemin monte en pente douce dans le bois de hêtres en décrivant quelques lacets. Sous l’imposante ramure le calme règne. Le chemin monte encore dans l’ombre tiède.
                        Et puis voici la lumière. La clairière s’ouvre et le regard est attiré vers ce bout de plaine au milieu des bois. Plusieurs châtaigniers bordent le sentier puis, plus loin, il y a quelques arbres fruitiers. Et là-bas, tout au fond, on découvre les bâtiments blancs, tapis contre la colline.
                        Tout n’est que silence ; On n’entend même pas les voitures qui passent en bas sur la route. Tout est quiétude. S’il ne devait exister qu’un seul mot pour décrire cet endroit c’est le mot Paix. On n’a qu’une envie : s’asseoir et regarder. Respirer, écouter.
                        Le soleil baigne l’immense clairière. Il devait y avoir ici un verger, un jardin sans doute, avec un potager et puis quelques fleurs pour le bouquet devant l’autel. Des glaïeuls certainement, des cosmos, des arums, et puis des reines marguerites ….
                        Sur la droite un petit clocher pointu se dresse entre les arbres. C’est le cimetière protégé d’un haut mur de pierre. Eternité. C’est le mot gravé sur la façade de la petite chapelle. Les tombes sont envahies d’herbes folles. Le Père Serres avait pourtant  fait d’autres rêves pour sa sépulture…
                        Plus loin, à coté des bâtiments en U, tournés vers le soleil, il y a l’église. Elancée, simple. Sur la façade, une statue de Marie accueille le visiteur de son regard bienveillant. Au-dessous coule une source. De là on aperçoit en contrebas la Dordogne, elle aussi calme et paisible maintenant qu’elle est assagie par le barrage de l’Aigle. Là bas, sous quelques mètres d’eau, Saint Projet dort, sont clocher  pointé vers une lumière qu’il ne verra plus…
                        L’immense terrasse encadrée par trois vastes bâtiments à l’architecture régulière, est entièrement baignée de soleil. Au milieu, comme dans une architecture parfaite, une grande fontaine n’entend plus couler son eau. Une Vierge couronnée, les mains tendues et le regard baissé, attend patiemment que le chant des sœurs retentisse à nouveau entre les murs de cette cour. Quelques arbres fruitiers  sont plantés le long des allées. Mais leurs fruits ne sont plus cueillis.
                        De l’esplanade la vue sur cette belle prairie entourée d’arbres centenaires, accrochée au flan de cette colline escarpée, rappelle un bonheur oublié. Cet endroit est un petit trésor caché au milieu des bois. Le message est peut-être là. Le bonheur est  près de nous, caché par quelques arbres, il dort calmement en attendant qu’on ouvre simplement les yeux.
                        Et la Thébaïde sommeille au grès des saisons. Elle se souvient du rêve fou de ce prêtre bâtisseur. De son rêve d’Eternité ….





Durant ses promenades solitaires le Père Serres avait découvert aux alentours de Saint-Projet, un site sauvage bien plus inaccessible qu’aujourd’hui car la route passait sur la rive gauche du ruisseau.
 Franchissant la Dordogne par le pont suspendu, il quittait la route de Neuvic à Mauriac, s’enfonçait dans la gorge où grondait un torrent, le Labiou. Passant le ruisseau et gravissant la colline escarpée il arrivait à mi-côte dans une étroite clairière entourée de hêtres et de châtaigniers séculaires. C’est là qu’il résolut d’établir sa demeure dans un domaine de 16 hectares: «  je me bâtirai une maison au milieu des bois, pour y passer la fin de ma vie dans la solitude, comme les anciens moines ».
Comme à Mauriac et à Saint-Projet, dès 1882,  le Père fut à la fois architecte, entrepreneur et maçon. D’abord bucheron pour abattre les arbres puis terrassier pour niveler le sol. Les sœurs venues de Saint-Projet rivalisaient d’ardeur autour du Père et de quelques ouvriers.

Le 24 juin 1884, en la fête de saint Jean-Baptiste, une aile était achevée et inaugurée et le Père s’y installa.
Son idée était de fonder une société de prêtres qui, à la direction des Petites Sœurs joindraient le ministère des missions, des retraites et deviendraient chapelains des sanctuaires de pèlerinage.
La maison s’agrandit chaque année mais les cellules nombreuses et accueillantes n’ont jamais été remplies.
            En 1886 le Père tente un essai d’école presbytériale. Mais celle-ci est condamnée comme illégale et contrainte de se dissoudre.

            Le premier qui vint partager sa solitude fut l’abbé François Cipière. Il devint le bras droit du Père Serres. Virent aussi le Père Johannès Serres, son neveu, et l’abbé Antoine  Espinasse, qui mourut tout jeune prêtre et fut enterré dans cet ermitage.
En 1892 l’aile Est fut terminée et en 1895 la chapelle est inaugurée. Elle prolonge l’aile Est. Toute entière conçue, réalisée et meublée par le père, elle élégante : des murs blancs, une voute élancée où se croisent de fines ogives. D’un bout à l’autre de chacun des cotés s’alignent des stalles de chêne.
Elle émerge au dessus  de la forêt  avec une flèche hardie surmontant le clocher.     


















La lumière joue à travers des vitraux teintés de couleurs vives. Sur les dix vitraux sont représentés avec leurs attributs, dix saints et saintes du pays, depuis saint Flour jusqu’à Pierre Garrigue, franciscain de Saint-Projet, massacré par les huguenots en 1574.
Les bâtiments du monastère présentent trois cotés d’un rectangle, encadrant un vaste jardin au milieu duquel  une fontaine coule dans un bassin. L’ensemble est orienté vers le sud.







             
                                 

Sur la pente du vallon, à trente mètres environ au-dessus du sanctuaire, le petit cimetière occupe un terre-plein. Une chapelle est érigée au fond. On lit au-dessus de la porte le mot Eternité. C’était la tombe que le Père Serres s’était réservé. C’est là qu’il voulait reposer dans le bruissement des feuilles, le murmure du Labiou et de la Dordogne toute proche.


















                            
            En juillet 1904 le Père Serres mourut. On l’enterra à la Thébaïde où il reposa aux cotés de l’Abbé Espinasse. Aujourd’hui son corps a été transporté aux Vaysses de Mauriac où il est entouré du murmure des prières des sœurs.
La Thébaïde, toujours entretenue par les sœurs allait devenir un lieu de retraite.
Pendant la deuxième guerre mondiale  un groupement du Chantier de Jeunesse N° 25 y demeura occasionnant pas mal de dégâts. Au printemps 1944 la Thébaïde, déserte, servit de dépôts d’armes aux résistants du barrage de l’Aigle.
            En 1983 dans le courant du renouveau de la vie chrétienne né dans la « ligne de Vatican II » deux couples s’installèrent à la Thébaïde afin de créer une communauté. Mais cette expérience ne dura pas. Au même moment un Capucin, le Père Jean-Claude ayant vécu en ermite en Terre Sainte, construisit une cabane en planches au pied de la chapelle Notre Dame des Malades dans les bois ? Il y vécu en solitaire dans la prière.





            Les Petites Sœurs des Malades de Mauriac rejoindront  la congrégation des Sœurs des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie de Mormaison, en Vendée, en 1999. Par décret du 22 avril 2002 est approuvée la fusion des deux congrégations.







Le Bon Père SERRES  (1827-1904)
Fondateur des Petites-Sœurs des Malades


L’abbé Jean-Baptiste Serres, prêtre séculier du diocèse de Saint-Flour, institua la Congrégation de Petites-Sœurs des Malades, congrégation féminine active, dont la maison mère se trouve aujourd’hui à Mauriac (Cantal).

Séculier : le clergé séculier regroupe les prêtres en paroisse, diacres, évêques, cardinaux .. etc.. en opposition au clergé régulier qui  répond à la règle d'un ordre monastique.

         Né à la ferme du Marsalou, près de Mauriac le 26 octobre 1827 il est ordonné prêtre en 1852, nommé successivement vicaire dans plusieurs petites paroisses, dont celle d’Ally en 1858.
  
Il  visite les paroissiens qui sont malades et dès 1859  il est secondé  par  Marie Lachaud et d'autres visiteuses.
En 1864 il est nommé aumônier du pensionnat Notre-Dame de Mauriac. C'est le point de départ de la Congrégation des Petites Sœurs de Malades.

Les visiteuses sont revêtues d’un costume religieux, d’une robe brune serrée à la ceinture par une corde et portent des cornettes blanches aux ailes déployées.

En 1865 le Père Serres doit chercher un logement pour sa communauté. Il le trouve rue Neuve à Mauriac. Deux ans après il bâtit ce qui deviendra la Maison Mère dans la rue du Balat où les Sœurs s'installent dans la plus grande pauvreté.
         La congrégation des Petites-Sœurs des Malades n’a encore aucun statut juridique, ce qu’elle obtient en 1868.
De nombreux villages font appel aux sœurs. St Vincent de Salers accueillera les bonnes infirmières en 1867. Le Père Serres décide d'y bâtir un ermitage. Puis viennent Chambres, Murat, Massiac. Le cinquième ermitage est celui d'Aurillac en 1868, le plus important.
D'autres maisons se construisent à St Flour, mais aussi dans la Corrèze, le Jura, la Creuse, la Haute-Vienne ….
Les progrès furent rapides : en 1895 la congrégation compte environ 400 sœurs, occupant 72 maisons dispersées dans 15 diocèses. 92 ermitages ont été fondés entre 1866 et 1900, tous sous le signe de la pauvreté, disséminés dans 15 diocèses.
Puis le Père Serres fonde la Thébaïde. Il découvre aussi Combe-Noire du côté Auvergnat de la Dordogne, construit l'église de Spontour et restaure l'Abbaye de Valette en école pour jeune filles destinées au noviciat. Il rétablit les pèlerinages de Nauzenac (Ste Madeleine) et de Valbenette en 1902.
Agé et fatigué il se retire à le Thébaïde ou il meurt le 5 août 1904.



Eglise de la Thébaïde



La fondation de la Maison-Mère actuelle à Mauriac, la plus importante de la Congrégation, a été possible grâce à la vente de Valette. En effet dès 1928, l'école était déserte. L'acte de donation stipulait que les Petites Sœurs n'avaient pas le droit de vendre le monastère, elles devaient le céder à une autre communauté. Mais aucune congrégation ne voulu investir en des lieux aussi écartés. La donatrice, Mme Chamfeuil, annula la clause  et autorisa les Sœurs à vendre le domaine.
A la même époque une belle propriété se trouvait à vendre à Mauriac: l'enclos des Vaysses, une maison entourée d'un grand parc. Les Sœurs l'achetèrent en 1929 et y construisirent les bâtiments et la chapelle. Elles y transportèrent le cercueil du Bon Père qui reposait à le Thébaïde.

L'oratoire de Valbenette sera noyé sous les eaux du barrage de Marèges en 1935. Puis St Projet sous les eaux de l'Aigle, Nauzenac et Combe-Noire. En 1951 c'est le tour de Valette sous les eaux du Chastang.
Il ne reste rien des cloîtres, des chapelles bâties avec tant d'amour et aux prix de tant de sueur. Les arceaux, les couloirs, les cellules et les belles ogives dorment sous 20 ou 50 m d'eau. Mais si les œuvres du Père Serres ont péri, son message et son exemple restent : charité, bonté, humilité, douceur …

"Le silence fait couler mes larmes, calme mon cœur, éclaire mon esprit, m'apprend la science des saints, l'art de la prière, m'élève au-dessus de moi-même, m'embrase au feu divin. La solitude donne, augmente, l'esprit de foi, lequel sanctifie nos actes, illumine notre intelligence et réchauffe notre cœur. La foi grandit dans la solitude parce que là tout nous parle de Dieu. C'est la nature dans son éclat, la création dans sa beauté, c'est Dieu, manifesté par ses œuvres.
Cette Dordogne qui se joue dans le pli des montagnes, qui enlace les collines, qui roule ses flots calmes ou impétueux, vivifiant les fleurs des prairies, versant la fraicheur aux vallées, jetant des échos aux rochers; cette Dordogne qui chante, qui pleure, gronde et qui va perdre ses eaux dans la mer, c'est l'image de la vie, laquelle aussi s'en va, tantôt joyeuse et chanteuse, tantôt grondante et triste, à travers mille vicissitudes, mille rochers, mille abimes dans un pays inconnu qui s'appelle l'éternité."






"Ma vallée est un temple superbe ….
Ici tout me parle de Dieu . " 
  Père Serres

9 commentaires:

  1. Merci pour ce beau reportage sur la thébaïde,j'ai vécu 2 années avec le frere Jean-Claude( tromas ),une experience qui marque a vie dans une grande sérénité ,que d'histoire a raconter malgré la solitude,c'etait en 1985.

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  2. merci pour ce blog passionnant, intéressant et tellement bien écrit !!!
    Cet après-midi, je vais sur le site de la thebaïde avec un ami.
    Nous adorons visiter les monuments historiques qui hélas sont souvent laissés à l'abandon.
    Marie des Planches à St Bonnet de Salers

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  3. peu etre serait t il possible de redonner vie a cet endroit

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  4. oui peu etre pour ca il faut une forte mobilisation des elus

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  5. Difficile de redonner vie à un lieu si chargé d'expérience spirituelle si la foi manque. Débarrassons-nous de l'idée de le livrer aux touristes.

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  6. La Thébaïde a été récemment vandalisée.
    La statue de la vierge a été projetée dans le bassin et elle est cassée.

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  7. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. Jean-Jacques Raible10 août 2019 à 10:12

    Les débris de la statue de la Vierge jonchent encore le sol du bassin. Il y manque le chef

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  9. Je fais des recherches depuis plusieurs années sur le Monastère de Saint-Projet, sur la vie de l'Abbé SERRES, et de la congrégation des Petites Soeurs des Malades. Je suis allé dernièrement aux Vaysses à Mauriac et j'ai appris que la Municipalité d'ARCHES effectuaeint d'importants travaux à La Thébaïde pour ceux que cela intéresse.
    Cordialement

    andre@cormon.fr

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